mercredi 13 novembre 2024

"Aux portes des 1000 jours

 « Aux portes des 1000 jours »

24 février 2022 – 19 novembre 2024 

Marc Georges




Oui, elle est de fer, notre langue, tel le cri,

D’un cor retentissant.

Sur la vie et le départ dans le céleste

Elle rebondit dans l’éternité.

 

Mais quand elle appelle, que la foudre éclate

Dans la lueur des drapeaux,

Souviens-toi dans ton cœur : notre langue est une chanson,

En mots — d’amour.


---

 

 Так, вона залізна, наше слово — криця,

Гучнодзвонна мідь.

Над життя і згубу у космічнім віці

Вічністю бринить.

 

Та коли покличе й блискавкою блисне

В сяйві корогов,

Пам’ятайте серцем: наша мова — пісня,

І в словах — любов. 

  

Leonid Kisselov — Леонід Кисельов

« Oui, elle est de fer, notre parole est un cri » - 1968

«Так, вона залізна…» - 1968 

(Un des premiers poèmes qu’il a écrits en ukrainien)

Traduction Marc Georges



Aux portes des mille jours de la grande agression russe, je poursuis mes traductions de poésies ukrainiennes. Une par jour, depuis le 24 février 2022, 1er jour de la grande agression. Parfois, pour ne pas dire quotidiennement, je me demande pourquoi ? Pourquoi, chaque soir, m’atteler à ce travail ? Pourquoi, chaque jour, y consacrer plusieurs heures ?

 

Lue, la Poésie de Iya Kiva*,

Dérisoire devient ma publication quotidienne.

Chaque jour,

Des bombes, elle reçoit ;

Des Poèmes, je publie,

Le sien, ceux de son pays.

Dérisoire soutien.

Petit vent d’espérance.

Tant qu’il y a de la Poésie, demeure l’Espoir,

Combien de Poètes ne le verront pas,

Étant tombée une bombe.

 

Marc Georges

« Dérisoire soutien » — 8 mars 2022

Tentative de Poésie


 

* Iya Kiva — Ія Ківа (1984 -) : Poète, journaliste ukrainienne

Originaire du Donbass, en 2014, elle a dû s’installer à Kyiv

 


Je n’ai pas trouvé de réponse. À près de mille jours, je continue. Peut-être est-ce l’expression d’une longue sidération. Pourquoi ? Je ne suis pas ukrainien, je n’ai aucune attache avec ce pays, je ne parle pas cette langue. Peut-être parce que, de mon tréfonds, j’ai compris que nous avions basculé dans un autre monde. Qu’à l’aube de ma retraite, le temps des retraites heureuses était une époque révolue. 

 

Sans explication, têtu comme un Normand ou obstiné comme un Ukrainien, je continue mon voyage en Poésie ukrainienne. Elle m’a fait traverser l’histoire et la géographie du pays de la langue rossignol, terre d’Isaac Babel, celle qui a vu naître Nicolas Gogol. Elle m’a emmené jusque dans ses recoins oubliés, dans ses lieux inconnus. Elle m’a permis de rencontrer de multiples poètes ; des attachants, des iconoclastes, des grandioses ; d’autres, simples, généreux, utopistes ; tous ukrainiens, du premier jusqu’au dernier de leurs rimes. Ils ont été et ils sont les bouteilles d’oxygène qui ont permis à cette langue de survivre et de vivre, la russie depuis le XVIIIᵉ Siècle avec Catherine II jusqu’à Poutine n’ayant eu de cesse de vouloir l’étouffer.

 

Globe-trotter, je le suis. J’ai voyagé et vécu dans de nombreux pays ; en Afrique, en Asie, en Europe, au Moyen-Orient, et sur les continents américains. Mais ce voyage en Ukraine est spécifique. C’est le premier voyage que j’effectue sans bouger de chez moi, de ma vieille maison perdue au milieu d’une terre de labour aux confins de la Mayenne. Il est un de mes plus beaux périples, probablement le plus précieux, par ceux que j’ai découverts, pour ce que j’en ai appris. Mais il me laisse perplexe, il m’interroge. Non sur l’Ukraine, mais sur la France et l’Occident. En France, les gens semblent n’avoir rien compris, ou veulent ne rien comprendre. Les Français ont de la compassion pour l’Ukraine. Est-ce suffisant ? Une grande majorité de Français voient l’Ukraine comme un oblast de la russie, la langue ukrainienne comme un dialecte, et pensent qu’Odessa a été construite par la « Grande Catherine »… Les artistes français n’ont rien fait pour l’Ukraine, ou si peu. Pas de concert, pas d’« ukrainothon », pas d’actions caritatives. La littérature ukrainienne est toujours absente des librairies et des maisons d’édition françaises. En réalité, en France, dans cette terre des Lumières, il y a un mélange d’indifférence et de peur. C’est triste. Mais c’est surtout dangereux. La France et une partie de l’Europe refont les mêmes erreurs qu’en 1938 face à Hitler. Depuis le 24 février 2022, le monde a changé. Poutine a ouvert la porte aux diables. Il a permis, voire « sanctifié » des massacres, des déportations d’enfants, les viols de femmes. Pourtant, de nombreux chefs d’État continuent de lui parler. On ne compte plus les dirigeants disant qu’il faut dialoguer avec lui. D’autres veulent encore faire du business avec la russie. Certains s’affichent en grande pompe à ses côtés, pensant poser pour une photo historique et glorieuse. En réalité, c’est là qu’est la vraie décadence de notre monde : « Peu importe les viols, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, tant qu’on peut préserver nos conforts, nos intérêts et prospérer ».  

 

Luttant contre lassitude et routine, ces deux cancers qui rodent, je poursuis mon périple en Poésie ukrainienne ; « un poème par jour jusqu’à ce que les armes se taisent ».

 

— Parce qu’ainsi, involontairement, j’ai créé la plus grande anthologie de Poèmes ukrainiens traduits en français. Puisse-t-elle contribuer à l’émergence des Lettres Ukrainiennes en France.

 

— En soutien à Andri Lyubka — Андрій Любка (1987 - ), jeune poète ukrainien, qui nous dit : « Depuis avril 2022, je ne suis plus écrivain, car je n’écris plus du tout. En revanche, je collecte des fonds et j’achète des véhicules pour l’armée ukrainienne », et conclut : « Un écrivain qui n’écrit plus est aussi probablement l’un des symboles de cette guerre. »

 

Je m’en irai à l’aube. Je vais partir, écrire, ranger.

L’aube glissant tel un couteau au-dessus de l’horizon.

Mais avant de m’éteindre dans les lueurs sanglantes

Je laisserai à la Terre ma propre voix, ma tristesse et un poème.

 

Я відійду під ранок. Відбуду, відпишу, відсяю.

І над горизонтом світанок ковзне, наче ніж.

Але перш ніж рорзтати в заграві кривавій,

я залишу Землі власний голос, і сум свій, і вірш.

 

Andriy Lyubka - Андрій Любка

« Prémonition de la mort » — dernière strophe

« передчування смерти » — остання строфа вірша

Traduction Marc Georges



-  En soutien à Stanislav Novitsky — Станіслав Новицький (2000), jeune poète engagé volontaire dans l’armée, comme nombre d’autres.


Quelque part dans le ciel blanc

Entre les nuages de la vie

Je cherche les cerises

Rouges meurtries par le gel

Je cherche un jardin

Je cherche les gens

Je cherche une quête

Je lis des poèmes

Et en cela

Pas de péché

Pas de repentir

Seules les cerises rouges

Ont tardé à fleurir

Seuls les poèmes et les cerises

Sont rossés par le froid de l’hiver

---

десь у білому небі

поміж хмар житія

я шукаю червлені

побиті морозом вишні

я шукаю сад

я шукаю людей

я шукаю шукання

я читаю вірші

і немає у цьому

ні гріха

ні спокути

Тільки вишні червлені

запізнились у цвіті

тільки вірші та вишні

биті холодом зим

 

Stanislav Novytsky - Станіслав Новицький

« Quelque part dans le ciel blanc… »

« десь у білому небі »

Traduction Marc Georges

 


-   En mémoire de Maxim Kryvtsov — Максиму Кривцову (1990-2024), poète dont la mort, sur le front, fut une des gouttes de trop du vase ukrainien ; tout le pays fut en pleurs.


C’était un poète. Pas un soldat.

Il est mort, il avait 33 ans.

Il est parti en tant qu’homme. En tant que guerrier.

Son chat, son fidèle compagnon du front,

Vers le céleste, l’a suivi.


Le Poète nous a laissé ses poèmes.

Nous avons perdu à jamais

Ses lignes non écrites,

Ses minutes non vécues,

Ses émotions non connues.


---


Він був поетом. Не солдат.

Він помер у віці 33 років.

Він пішов як людина. Як воїн

Його кіт, його вірний фронтовий товариш,

Він пішов за ним у рай.


Поет залишає нам свої вірші.

Ми втратили назавжди

Його ненаписані рядки,

Його непрожиті хвилини,

Його невідомі емоції.



Marc Georges

Inspiré des mots de Lesya Litvinova, mère du Poète

Натхненний словами  Леся Литвинова, мати Поета

Tentative de poème


 

Pour honorer Yuri Ruf — Юрій Руф, poète, engagé dès les 1ᵉʳˢ jours de la grande agression, tué dans les 1ᵉʳˢ combats. 


L’horizon rouillé s’est perdu dans les ténèbres

Le ciel s’embrase tels des hauts-fourneaux,

Des lignes de feu horizontales

Dans les fissures des nuages déchirés.

 

Au loin, dans le champ, l’éclat d’un obus a scintillé.

Le disque chaud s’est levé pour atteindre le zénith,

Baignant dans le brouillard de l’écume matinale.

Une nouvelle aube et un nouveau jour s’installent sur le trône.


---


Іржавий обрій вицвів з темноти,

Відтінком домни небеса палають,

Горизонтальні вогняні хвости

В щілинах рваних хмар на виднокраї.

 

Далеко в полі зблиснув терикон.

Гарячий диск на старт в зеніт піднявся,

В туману вранішнього піні покупався.

Новий світанок й новий день зійшов на трон.

 

Yuri Ruf - Юрій Руф

Son dernier poème — 24 mars 2022

Його останній вірш, - 24 березня 2022 року

Traduction Marc Georges


 

-   Pour ne pas oublier Volodymyr Vakulenko-K — Володимир Вакуленко-К, enlevé, torturé et tué par les russes, parce qu’il était poète ukrainien.


N’efface pas la peur de ton visage,

Impossible de changer le cours de l’agonie…

L’incertitude cherche un oiseau,

Dans ta paume céleste.

 

Sans protecteur, les serpents rampent

Dans l’inhérence d’un savoir éphémère

Je brûle — Les braises de l’espoir

Transformant les rêves en fumées.


---


Не затерти в обличчі жах,

Не змінити русло агонії …

Невідомість шукає птах,

У твоїй небесній долоні.

 

 І без захисту, кубляться змії

Притаманні знанням нетривким...

 згораю— жарини надії

Перетворюють мрії у Дим!


Volodymyr Vakulenko-K — Вакуленко-К. Володимир

« N’efface pas la peur de ton visage » - 17 septembre 2005

« Поверхні форм » — 17 вересня 2005 року

Traduction Marc Georges

 

-   Pour ne pas oublier Iryna Tsvila — Ірина Цвіла (1970-2022), poète, écrivaine, fleuriste, tuée avec son mari, dans la bataille de Kyiv, le 25 février 2022, laissant cinq orphelins.


Et une rose ravivée poussera, les souches des arbres écorchés germeront avec joie et inspiration. Et tu m’apprendras à aimer à nouveau cette vie de jardinier ardente et folle. Et moi de même. Je te le promets. Je reviendrai. Attends-moi juste dans mon jardin.

 

І виросте оновлена троянда, і пеньки зламаних дерев проростуть бадьоро і натхненно. І ти навчиш мене знову любити це життя, життя затятого та схибленого садівника, садолюба й садомрія. Це буде. Обіцяю. Я повернусь. Ти тільки дочекайся мене, мій Саде.

 

Iryna Tsvila - Ірина Цвіла,

« Lettre à mon jardin » - dernier paragraphe

« Лист до саду » — останній абзац

Traduction Marc Georges


 

-   Pour ne pas oublier Iryna Tsybukh — Цибух Ірина, (1998 – 2024) Poète, journaliste ukrainienne, engagée dans le bataillon des volontaires hospitaliers, tuée par les russes, dans son ambulance, à 3 jours de ses 26 ans.

 

Je veux des enfants.

Je veux une maison.

Je veux planter des tomates…

Mais le plus important, gagner la guerre

Mettre fin à la guerre.

 

La guerre, le pire endroit où je suis allé,

Mais elle m’ouvre le ticket d’entrée pour la vraie vie,

Pour une société libre sans falsification.

Elle m’apprend l’impermanence de l’existence…


---

  

Я хочу дітей,

я хочу будинок.

Хочу посадити помідори...

але головне виграти війну

закінчити війну


Війна - це найгірше місце, де я коли-небудь був

але це дає квиток у реальне життя

у світі справжньої незалежності,

воно знаменує знання про швидкоплинність існування


Iryna Tsybukh - Цибух Ірина

« Je veux… »

« Я хочу … »

Traduction Marc Georges

 


-   Pour ne pas oublier toutes ces autres plumes ukrainiennes qui se sont sacrifiées pour leur pays. Je ne peux toutes les citer tant la liste serait longue, trop longue. Tous ces poètes, tous ces écrivains morts pour l’Ukraine, et dont on a perdu à jamais ce qu’ils auraient écrit demain.

 


-   En geste d’affection pour Emma Andievska — Емма Андієвська, (1956 —), Poète artiste ukrainienne, installée à Berlin, qui, malgré de faibles moyens, a autoédité la majeure partie de son œuvre, contribuant ainsi à l’éclat de la poésie ukrainienne. 


Bonsoir, solitude !

 

Voici ma tasse, voici mon cheval, voici mon cœur.

 

Mon chemin est violet,

Pensées, drainées chaque lune.

 

Ne dites pas : par de là les montagnes.

 

Dites : ici, ce soir, à minuit.

Aujourd’hui. À présent. Jamais

 

---

 

Добрий вечір, самотносте!

 

Ось кухоль, ось кінь мій, ось моє серце.

 

Путь моя фіялкова,

Помисли, місяцем сточені.

 

Не кажи : десь за горами.

 

Кажи : тут, сьогодні, опівночі.

Сьогодні. Зараз. Ніколи.


Emma Andievska — Емма Андієвська

« Bonsoir, solitude ! » — 7 mars 2021

« Добрий вечір, самотносте! » — 7 березня 2021 р

Traduction Marc Georges


 

-   En merci à Vano Krueger (1986 —), Poète ukrainien, pour nos longs échanges en anglais, pour saisir ses fulgurances littéraires ukrainiennes.

 

La haine a un goût salé

Raison de sa persistance.

L’amour n’a pas de goût, il est chaleur,

Qui prend froid…

---

ненависть солона на смак

тому зберігається довго

любов же—не смак, а тепло—

вистигає…

 

Vano Krueger - Вано Крюґер

Extrait « Prophétie du Roi Balthazar — IV »

« пророцтва царю Валтасару – IV »

Recueil « Puits sans fond » — « Цебер без дна »

Éditions Luta Sprava — Kyiv, 2019

Traduction Marc Georges


 

-   En hommage à Sviatoslav Karavanskyi — Святослав Kараванський (1920 – 2016), Poète ukrainien, qui, pendant ses 31 années de camp de concentration, malgré les conditions difficiles et les travaux de forçat qui lui étaient imposés, a rédigé un dictionnaire ukrainien des rimes (1000 pages, 60 000 paires de rimes). Ouvrage devenu la référence — « Dictionnaire des rimes de langue ukrainienne » — « Словник рим української мови », Éd. BAK — Lviv, 2004).


Toi et moi sommes une goutte d’eau

Qui s’est brisée en deux sur une pierre,

Deux cellules qui ne font qu’une,

Deux visages d’une même essence.

 

Toi et moi sommes comme une tige,

Qui s’est épanouie en deux fleurs,

Comme une banquise géante,

Qui s’est scindée en deux dans l’océan.

 

---


Ми з тобою води краплина,

Що розбилась на дві об камінь,

Дві одного єства клітини,

Дві єдиної суті грані.

 

Ми з тобою немов стеблина,

Що двома процвіла квітками,

Мов гігантська морська крижина,

Що на дві розійшлась в ок'яні.


Sviatoslav Karavanskyi - Святослав Караванський

« Toi et moi… » - « Ми з тобою води краплина … »

Traduction Marc Georges

 


-   En hommage à Pavlo Grabovsky — Павло Грабовський (1864–1902), Poète ukrainien qui, enfermé au goulag, s’est lancé d’une anthologie mondiale de la poésie, dont les traductions ont été publiées dans de nombreuses revues et sont toujours disponibles, alors qu’il n’était pas polyglotte ; lui qui aimait répéter « Les mots audacieux sont nos armes,/les actes audacieux sont nos épées. »


Nuit mystère, douce brise

Du bruit à ma fenêtre ;

La pluie en goutte-à-goutte,

Mon cœur en chamade.


Non, juste un rêve troublant

Enfui pour toujours ;

Tu m’as souri

Puis, tu as détourné ton regard !


---


Темна ніч, вітрець тихесенький

Зашумів в моїм вікні;

Дощик капає дрібнесенький,

В серце падає мені.


Ні, се мрія доторкнулася

І навіки утекла;

Ти до мене усміхнулася

І свій погляд одвела! 


Pavlo Grabovsky – Павло Грабовський

« Nuit mystère, douce brise » - 1900-1902

« Темна ніч, вітрець тихесенький » - 1900-1902

Traduction Marc Georges

 


-   En hommage à Vasyl Stus (1938 - 1985), Poète, journaliste ukrainien, l’un des membres les plus actifs du mouvement dissident ukrainien. En raison de ses convictions politiques, ses œuvres furent interdites par le régime soviétique. Il fut condamné à de nombreuses reprises et passa 23 ans — près de la moitié de sa vie — en détention. Il est mort au goulag, dans le camp de détention Perm-36. Les autorités ont détruit tous ses écrits. Seuls ont été sauvés ceux écrits avant sa déportation, et les rares textes qu’il a pu envoyer clandestinement.

 

Lors de l’un de ses séjours en prison, il écrit au Soviet suprême de l’URSS pour demander d’être déchu de sa citoyenneté soviétique. « Il m’est impossible d’avoir la nationalité soviétique. Être citoyen soviétique signifie être esclave… ».

 

« Psychologiquement, j’ai compris que la porte de la prison s’était déjà ouverte pour moi, qu’un jour, elle se refermerait derrière moi — et pour longtemps. Mais qu’étais-je censé faire ? C’est le destin, et le destin ne choisit pas. Elle est donc acceptée — ce qu’elle n’est plus. Et quand ils n’acceptent pas, alors elle nous choisit de force… Mais je n’allais pas baisser la tête, quoi qu’il arrive. Derrière moi se tenait l’Ukraine, mon peuple opprimé. »

Vasyl Stus — Василь Cтус — août 1979, Kyiv.

 

Qu’il est bon que je ne craigne pas la mort

Que je ne me préoccupe pas du poids de ma croix,

Que je ne m’incline pas devant vous, messieurs les juges.

 

En prévision de verstes inconnues,

J’ai vécu, aimé, je n’ai acquis ni honte,

Ni haine, ni malédiction, ni remords.

 

Mon peuple, je reviendrai vers toi,

Comme dans la mort, je me tournerai vers la vie

Avec mes souffrances, mais sans colère.

 

En tant que fils, je m’inclinerai devant toi

Te regardant sincèrement dans tes yeux honnêtes

Et, dans la mort, je me marierai avec ma terre natale.


---

 

Як добре те, що смерті не боюсь я

і не питаю, чи тяжкий мій хрест,

що перед вами, судді, не клонюся

 

в передчутті  недовідомих верст,

що жив, любив і не набрався скверни,

ненависті, прокльону, каяття.

 

Народе мій, до тебе я ще верну,

як в смерті обернуся до життя

своїм стражденним і незлим обличчям.

 

Як син, тобі доземно уклонюсь

і чесно гляну в чесні твої вічі

і в смерть із рідним краєм поріднюсь.

 

Vasyl Stus - Василь Cтус

« Qu’il est bon que je ne craigne pas la mort … »

« Як добре те, що смерті не боюсь я »

Traduction Marc Georges



-   En hommage à Taras Chevtchenko — Тарас Шевченко (1814-1861), Poète et peintre ukrainien. Né serf dans la région de Kyiv, il est devenu le « Victor Hugo » de l’Ukraine, une icône populaire de la résistance, le symbole fédérateur du peuple d'Ukraine. Il est l’auteur de « Testament », poème emblématique du pays, que tout Ukrainien peut réciter.

 

Le Tsar avait une telle peur des écrits du Poète, qu’il avait imposé que, pendant son internement en camp de concentration, Taras Chevtchenko soit privé de crayons, de plumes et de papier.

 

J’ai usé pour ce diable d’esprit

Des jours, des plumes et du papier !

Jusqu’à en pleurer,

Trop souvent. Rejetant

Ce monde et ses actes,

Et parfois comme ivre,

Le grand-père aux cheveux gris sanglotait —

Celui-là, voyez-vous, il est orphelin.


---


На батька бісового я трачу

І дні, і пера, і папір !

А іноді то ще й заплачу,

Таки аж надто. Не на мир

І на діла його дивившись,

А так, мов іноді, упившись,

Дідусь сивесенький рида —

Того, бачте, що сирота.

 

Taras Chevtchenko — Тарас Шевченко

« J’ai usé pour ce diable d’esprit » - Orenbourg*, 1850

« На батька бісового я трачу » - Оренбург, 1850

Traduction Marc Georges

 

*Orenbourg — Оренбург : Ville de l’Oural, où Taras Chevtchenko — Тарас Шевченко a été déporté..


 

-   En soutien à la diaspora ukrainienne qui m’a emmené aux USA, au Canada, en Australie et même au Brésil ; elle qui n’a de cesse, depuis plus d’un siècle, de défendre et de promouvoir les Lettres Ukrainiennes, allant jusqu’à la création d’une chair de Lettres Ukrainiennes dans les plus grandes universités américaines.

 

Visiblement, je ne suis pas à la mode. Oh, je suis ce que je suis.

Bien sûr, pas d’une telle sorte que la netteté du sujet

Puisse être changée en un triolet doux et lyrique,

Tamisé à travers le filtre d’une boisson parfumée.

— Je ne crains qu’une chose : tomber dans la norme.

 

Nous sommes trop nombreux pour émousser la plume !

Je veux, poète, à la fois aimer

Les jours orageux, les fleurs, les nuages…

Mais le plus important, dans la dissolution du temps,

Avoir au moins une once des fantasmes de Baudelaire !


---


Мабуть, не модний я. Що ж – я такий, як є.

Звичайно, не такий, щоб гостроту тематик

Міняти на ніжний, ліричний тріолет,

Проціджений ситцем на напій ароматний.

– Одного лиш боюсь: впадати в трафарет.

 

Аж надто в нас кому затуплювати пера!

Я хочу, щоб кохав однаково поет

І буревій доби, і квіти, й хмародера...

Та найважніше, щоб, зриваючись у лет,

Мав кришечку бодай фантазії Бодлера!

 

Svyatoslav Gordynsky -‎ Гординський Ярославович

« Autoportrait », Recueil « Couleurs et lignes » — 1933

« Автопортрет », « Барви й лінії » — 1933 — го

Traduction Marc Georges


 

Svyatoslav Gordynsky — ‎ Гординський Ярославович (1906-1993) : Poète, artiste peintre ukrainien. Né à Kolomyia (sud-ouest de l’Ukraine). En 1944, il émigre aux USA où il fonde l’Association des artistes ukrainiens d’Amérique. À son décès, il lègue son fond et sa collection d’œuvres d’art au Musée national de Lviv (ville du nord-ouest de l’Ukraine).


∞∞∞∞∞∞∞

 

Je suis moulée dans de la bonne

Argile de Boryslav*.

 

Peu importe où la tempête m’emporte,

Les sombres sapins bruissent en moi,

Le sombre secret de Tysmenytsia**

Coule dans mes veines.

 

Mon âme deviendra la cloche

D’un vieux clocher de Boykivshchyna***,

Pour pleurer les morts

Et réveiller les vivants.


---


Я ліплена з доброї

Бориславської глини.

 

Куди не поніс би мене буревій,

Темні ялиці шумлять у мені,

Темна Тисмениці таємниця

Струмить у жилах.

 

Моя душа стане дзвоном

Старої бойківської дзвіниці,

Щоб голосити за мертвими

І будити живих.


Vera Vovk — Віра Вовк (1926-2022)

Poète ukrainienne exilée au Brésil

« Je suis moulée… » - « Я ліплена з доброї … »

Traduction Marc Georges

 

* Boryslav : ville d’Ukraine, du nord-ouest de l’Ukraine.

** Tysmenytsia : ville de l’ouest de l’Ukraine.

*** Boykivshchyna : région de l’ouest de l’Ukraine,

connue pour ses églises en bois. 

 

∞∞∞∞∞∞∞


Je le connaissais et c’était douloureux.

Il parlait d’étoiles, de tubéreuses*,

Ses cheveux couverts des sueurs de la tuberculose,

Des rides bleues marquant son front.

 

Il disait que la lune est un ferblantier** magique,

Forgeron de monnaies, bouddhiste au visage doré,

Que les monuments ne sont que frêles ornements,

Et les mythes guerriers — tables de jeu.

 

Dans sa chambre, sombre et exiguë

Les mots se précipitaient en chansons et zozotement.

Les doigts semblant frapper un clavier osseux,

Sans trouver les notes, où naissent les chansons.

 

Il semblait que seules ses lettres et ses virgules

Nous resteraient quand il nous quitterait

Sauf que grandissait un jardin paisible de rêves imaginaires,

Qui deviendrait le monde en un mince volume.


---

 

Я  знав  його,  і  болісно  було.

Він  говорив  про  зорі,  туберози,

вкривав  волосся  піт  туберкульози,

і  сині  смуги  креслили  чоло.

 

Казав,  що  місяць  —  чарівний  бляхар,

коваль  монет,  буддист  золотолобий,

що  монументи  —  лиш  крихкі  оздоби,

а  міти  воєн  —  столики  для  карт.

 

В  своїй  кімнаті,  темній  і  тісній,

слова  снував,  пісні  та  шепеляві.

Здавалось  —  палець  б’є  в  кістлявий  клявіш,

та  струн  не  стріне,  де  ростуть  пісні.

 

Здавалось,  що  лиш  літери  і  коми

залишить  нам,  коли  залишить  нас.

Та  тихий  сад  зростав  у  мнимих  снах,

щоб  стати  світом  у  тоненькім  томі.


‎Bohdan Rubtchak - Рубчак Богдан

« Le petit poète », Recueil « Clio personnel » - New-York, 1967

« Малий поет », « Oсобиста кліо » - New York,1967

Traduction Marc Georges

 

*Tubéreuses : plante odorante originaire du Mexique.

** ferblantier : artisan-forgeron qui travaille le fer blanc

 

Bohdan Rubtchak — Рубчак Богдан (1935-2018) : Poète ukrainien. Émigré aux USA, il est l’un des poètes les plus remarquables de la diaspora ukrainienne.



-   En hommage à ces 576 Poètes ukrainiens, dont j’ai croisé la route, dont les noms qui se bousculent dans ma tête, à toutes ces fulgurances qu’ils m’ont offertes, à toutes ces pages de l’histoire de l’Ukraine qu’ils m’ont apprises, à tous ces indicibles qu’ils ont vécus et gravés avec leurs mots. Tous, qui depuis des siècles, avec leur plume, sont les bardes, les ambassadeurs, les Cosaques d’une Ukraine libre.


Il y a des poèmes — des fleurs.

Des poèmes — des chênes.

Il y a des jouets — des poèmes.

Il y a des blessures.

Il y a des maîtres et des esclaves.

Et des poèmes —


Des condamnés.


À travers les murs des prisons,

Dans les champs des périls —


Ils se dirigent, ils se rendent sur la scène des siècles…


---


Є вірші – квіти.

Вірші – дуби.

Є іграшки – вірші.

Є рани.

Є повелителі і раби.

І вірші є –


каторжани.

Крізь мури в'язниць,

по тернах лихоліть –


ідуть, ідуть по етапу століть…


 

Lina Kostenko - Ліна Костенко

« Il y a des poèmes — des fleurs… »

« Є вірші – квіти… »

Traduction Marc Georges


∞∞∞∞∞∞∞


J’avais soif

Chaque goutte,

J’en ai renversé

Eclaboussé…

La tasse — non coupable,

Le destin — non coupable,

Simplement du bonheur

Ma main tremblait.

---

Хотілося випити

Все до краплини,

А більше розхлюпав

І розплескав…

І чаша – не винна,

І доля – не винна,

Це просто від щастя

Тремтіла рук. 


Leonid Talalaĭ - Леонід Талалай

« La coupe » - « Чашка »

Traduction Marc Georges


∞∞∞∞∞∞∞

 

Dans la douce soirée d’hiver

Rêver de bonheur, comme dans un songe…

Chaleur printanière et conversations innocentes,

Légers nuages et murmure des bois,

Au loin, les étoiles brillantes…


Le cœur demandait chaleur et amour,

Le rêve aspirait à l’éclosion des espoirs,

La jeunesse passa tranquillement, insouciante,

Les rêves ont péri, et la force bohème

Disparue dans l’âme jeunesse…


Le silence hivernal s’installa…

Ce n’est qu’un rêve, ce cher printemps !

Le bonheur — Fleur d’une terre inconnue,

Rêverie de Poète, escadrille de petits nuages,

Délicate, fantasque, lumineuse…


---


Вечором тихим зими навісної

Мариться щастя, неначе вві сні...

Теплінь весняна і юні розмови,

Легкі хмаринки і гомін діброви,

Зорі далекі, ясні...


Серце просило тепла і кохання,

Прагнула мрія розквіту надій,

Тихо проходила юність безбурна,

Гинули мрії, і сила безжурна

Зникла в душі молодій...


Тиша зимова у ній оселилась...

Се — тільки сон, ота люба весна!..

Щастя — то квітка незнаного краю,

Мрія поета, хмариночок зграя,

Легка, химерна, ясна... 


Khrystyna Alchevska — ‎ Христина Алчевська

« Dans la douce soirée d’hiver… »

Recueil « Fleurs de cerisier » — 1912

« Вишневий цвіт » 1912

Traduction Marc Georges

 

Khrystyna Alchevska (1882-1931) Poète ukrainienne.

Bien que censurée par les russes, elle a laissé une œuvre volumineuse qui a pu échapper à la destruction systémique des autorités.

 

Récemment, Oksana Zabuzhko, Poète philosophe ukrainienne à qui on demandait comment l’Ukraine, traversant toutes ses tragédies, a pu préserver et développer sa culture ? Oksana Zabuzhko répondit simplement : parce qu’il y avait en Ukraine des personnes comme Khrystyna Alchevska.


 ∞∞∞∞∞∞∞


Dans l’une de ces villes à une heure indéterminée

Le caprice du destin nous accueillera

Le soir où résonne le jazz dans les restaurants

Le matin — Les cloches sonnent sous les arcs gothiques,

là les lys fleurissent les canaux

Là, ils boivent du café, puis ils prennent de la bière

Et volent en douceur telles des nuées

Les bicyclettes des écolières radieuses

 

Leurs sacs à dos sont colorés et légers

Leurs jambes élancées, leurs cuisses fines,

Oh, mon Dieu, nous étions ainsi

Il y a dix ans, vingt ans, trente ans.

Mais laisse tes regrets de sans-abri

Dans chaque ville, il y a l’Hôtel Central —

Pour ceux qui comme toi ne sont rien pour tous

 

Ici, tu déposes ton humble richesse

Tu retires tes lentilles de contact

Tu laves votre corps, tu prends ton verre

Tu appuies sur le bouton de la chaîne payante —

Tout ce que tu veux ; comme tu le veux ;

Tu fermes les yeux, tu entres et tu prends.

La musique nocturne ne connaît pas de limites

Dans les chambres de ton Central Hôtel.

 

À trois heures du matin depuis les salles célestes

Dieu comme Bosch* descend à l’Hôtel Central

Avec des insectes qui jouent de la clarinette

Avec des moustiques qui boivent le sang de l’humble

Avec des crapauds et des limaces ; et aussi

Du poisson ; et son entier amour —

Comme du caviar dans les bureaux de l’enfer.

 

Comme une lutte étalée sur les murs

Entre un faible et malheureux esclave

L’homme — et l’Esprit châtieur

Qui façonne et courbe ton corps

Puis le jette dans une cuve pleine de merde

Pour t’en sortir avec deux doigts

Te secoue, te regarde et écoute

 

Tel un premier geste d’un tendre pardon

Tel un premier contact, comme un triste « je t’aime »

Tel un éclair de soleil dans les plis du brouillard —

L’Hôtel Central accueille un nouveau matin

 

Et chaque jour — telle une dernière chance

Et chaque nuit — telle une dernière fois

Et sur les canaux des lys volent

Les bicyclettes des timides écolières.


---

 

в одному з міст де у непевний час

примхлива доля привітає нас

де вечорами в ресторанах джаз

уранці - дзвони з-під готичних арок

там на каналах лілії цвітуть

там каву п'ють а потім пиво п'ють

і зграями летять в солодку путь

велосипеди осяйних школярок

 

їх рюкзаки яскраві і легкі

їх ноги довгі стегна їх вузькі

о боже мій і ми були такі

ще десять двадцять тридцять років тому

але облиш свій безпритульний жаль

у кожнім місті є Готель Централь -

для тих хто як і ти ніхто нікому

 

тут розкладеш нехитрий статок свій

контактні лінзи витягнеш з-під вій

обмиєш плоть дістанеш свій напій

натиснеш кнопку платного каналу -

і все що хочеш; і як хочеш теж;

заплющиш очі ввійдеш і візьмеш

і музика нічна не знає меж

у камерах твого Готель-Централю

 

о третій ночі із небесних заль

Бог наче Босх зійде в Готель Централь

з інсектами що грають на кларнетах

з москітами що п'ють покірну кров

із жабами і слимаками; знов

із рибами; і вся твоя любов -

немов ікра в пекельних кабінетах

 

немов розмазана по стінах боротьба

слабкого і нещасного раба

людини - і караючого Духа

він твоє тіло ліпить і згина

а потім кида в повний чан лайна

а потім двома пальцями вийма

обтрушує і дивиться і слуха

 

як перший погляд ніжного жалю

як перший дотик як сумне «люблю»

як спалах сонця в згинах перкалю -

Готель Централь стрічає новий ранок

 

і кожен день - немов останній шанс

і кожна ніч - як у останній раз

і над лілейними каналами летять

велосипеди трепетних школярок


Natalka Bilotserkivets - Наталка Білоцерківець

« L’Hôtel Central » - « Готель Централь »

Traduction Marc Georges



-   Pour la découverte de cette langue, l’ukrainien, dite langue des rossignols, chérie et défendue depuis des siècles par le peuple d’Ukraine.

 

Ce n’est peut-être pas la chose la plus importante,

Mais toi, mon enfant,

Tu es appelé à protéger avec tes paumes,

La petite bougie de la lettre « ї »,

Et

Dressé sur la pointe de tes pieds,

À protéger le croissant de la lune de la lettre « є »,

Découpé du ciel

Avec un fil.

 

Car il est dit, mon enfant,

Que notre langue est un rossignol.

 

Ils ont raison.

 

Mais j’ai peur

D’un jour venant peut-être

Où même le plus petit rossignol

Ne se souviendra pas

De notre langue.

 

C’est pourquoi,

Il n’est pas possible de compter

Uniquement sur les rossignols,

Mon enfant.

 

 ---


Хай це, можливо, і не найсуттєвіше,

але ти, дитино,

покликана захищати своїми долоньками

крихітну свічечку букви « ї »,

а також,

витягнувшись на пальчиках,

оберігати місячний серпик букви « є »,

що зрізаний з неба

разом із ниточкою.


Бо кажуть, дитино,

що мова наша — солов'їна.

Правильно кажуть.


Але затям собі,

що колись

можуть настати і такі часи,

коли нашої мови

не буде пам'ятати

навіть найменший соловейко.


Тому не можна покладатися

тільки на солов'їв,

дитино...


Ivan Malkovitch — Іван Малкович

« Enseignement d’un enseignant rural » - 11-18 décembre 1985

« напучування сільського вчителя » 11-18 грудня 1985 року

Traduction Marc Georges

 

Dont Youri Shevelvoy, linguiste ukrainien, a démontré la primauté, à Harvard, célèbre université américaine, détruisant l’histoire linguistique imposée par les russes.

 

La véritable langue ukrainienne « vivante » n’a jamais été le « vieux russe », n’a jamais été le « russe commun », n’a jamais été identique au russe, n’a jamais été un ancêtre, un descendant ou une branche de la langue russe. Elle est née du protoslave, se formant du 6ᵉ au 16ᵉ siècle.


Справжня, «жива» українська мова ніколи не була «давньоруська», ніколи не була «спільноруська», ніколи не була тотожна з російською, не була предком або нащадком або відгалуженням російської мови. Вона поставала й постала з праслов'янської, формуючися від 6 до 16 ст.


Pourquoi la langue russe commune et non la langue вібхорус* ? »

« Чому общерусский язык, а не вібчоруська мова? (З проблем « східнослов’янської глотогонії) »

Kyiv : Academia, 1994

 

*вібхорус : néologisme de l’auteur, difficilement traduisible,

évoquant la langue ukrainienne niée par les russes.

 

Dans cette situation, les « frères » ont cessé d’être frères et il est devenu impossible de détruire la culture et la langue ukrainiennes. Il ne restait plus qu’à essayer de les neutraliser, en les réduisant au niveau du primitivisme et de l’ethnographie et en promouvant l’idée de la supériorité de la langue et de la culture russes. C’est alors que la théorie de la russie actuelle et dans le passé a dû apparaître et est apparue (ou est devenue plus largement utilisée) et le mot même общерусский* est apparu (ou est devenu plus largement utilisé) comme un frein/sauvegarde. Tout semble avoir changé, mais — « plus ça change, plus c’est la même chose** ».

 

У цій ситуації « брати » переставали бути братами, знищити українську культуру й мову ставало вже неможливо. Лишалося тільки пробувати знешкодити їх, звівши на щабель примітивізму й етнографізму і пропагуючи ідею вищости мови й культури російської. Це саме тоді мусила постати й постала теорія общерусскости тепер (Струве) і в минулому (Шахматов) і постало (або ввійшло в ширший ужиток) саме слово общерусский як тамувальник/запобіжник. Почався новий акт нечесної гри, правда, тепер вона була нечесна інакше, ніж за Поґодіна й Победоносцева. Усе ніби змінилося, але — plus çа change, plus c’est la même chose.

 

« Une tentative de biographie du mot общерусский* (langue) »

« Спроба біографії слова общерусский (язык) »

New York, mai-octobre 1993

 

*общерусский : expression russe signifiant « tout russe ». Derrière ce mot, il y a l’idée d’une conscience panrusse, et du peuple russe trinitaire.

** « plus ça change, plus c’est la même chose » : en français dans le texte

 

Youri Shevelyov — Шевельов Юрій

Traduction Marc Georges

 

-   Pour rappeler que l’histoire ukrainienne ne fait que se répéter ou se perpétuer.

 

D’Alexandre II, avec la circulaire Valuev (1863), imposant l’interdiction et la destruction de toutes les publications écrites en « petit russe », c’est-à-dire en langue ukrainienne ; et dont en 1876, il amplifie les effets, avec le décret d’Emsk, qui interdit l’usage de la langue ukrainienne, cela pouvant valoir prison et déportation en camp.

 

Puis Staline, qui, de 1929 à 1935, planifie le 1ᵉʳ génocide culturel par l’arrestation et la déportation de l’intelligentsia ukrainienne. Indicible page, nommée par les Ukrainiens « la Renaissance fusillée ». Plus de 3 000 personnes y perdirent leur vie, dont 90 % des lettrés ukrainiens. Ne survécurent que ceux qui purent s’exiler, et les rares plumes d’obédience stalinienne.


 

J’oublierai le bonheur reçu

Dans la vague donnée de la vie.

J’oublierai les éclairs de la sagesse

Sur le liseré noir du quotidien,

Le printemps pluie de roses

Sur les zones blessées de l’âme.

J’oublierai les blizzards froids

Et tout ce qui s’est passé ici.

Je me souviens seulement de la mère patrie,

Toute son affection et sa chaleur.

--- 

Коли я, знемігши, прибуду

На міст, що веде в небуття,

Про дещицю щастя забуду

В дарованій хвильці життя.

Забуду сполохані свята

У буднів на чорній межі,

Весінні дощі розілляті

На зранених площах душі.

Забуду хурделиці тризну

І все, що отут протекло.

Згадаю лиш матір Вітчизну,

Всю ласку її і тепло

 

Oleksa Vlyzko – Олекса Влизько́

« Prélude » - « Прелюд »

Traduction Marc Georges

 

Oleksa Vlyzko (1908 - 1934), Poète ukrainien, sourd et muet, victime du génocide « La Renaissance fusillée ». Il est fusillé en décembre 1934 avec 28 autres écrivains et militants culturels.

 

« O. Vlyzko était sourd et muet. Il fallait avoir une force spirituelle intérieure colossale pour se dresser contre soi-même, se briser, pour qu’une parole qui se taisait pour soi puisse résonner pour les autres… Il “parlait” par l’écrit. Il a vécu dans un silence absolu, et même au dernier moment, il n’a pas entendu le coup de feu qui lui a écrasé le crâne… »

Victor Petrov — Activités culturelles ukrainiennes de l’URSS — Victimes de la terreur bolchevique — Prolog Publishing House, New York, 1959.


∞∞∞∞∞∞∞


Ne touchez pas,

Ne me touchez pas aujourd’hui.

Dans mon âme brûle un feu,

Dans mon âme —

Les reflets

Des luttes millénaires,

Annoncées

Depuis des millions de générations…

Lorsque des foules aux ailes rouges

Étouffent les sillons des rues, —

Il y a pluies d’émois, secoués, exaltés,

Le réveil des bêtes endormies du Maïdan.

Les douleurs ensorcelées se déchirent.

D’un sifflement strident,

Les siècles sont chassés par un balai cosmique,

Arraché des taudis du passé,

Je suis aveuglément nu.

Ne me touchez pas,

Nu.

---

Не чіпайте,

Не чіпайте мене сьогодні.

В моїй душі вогонь,

В моїй душі –

Відблиски

Тисячолітніх змагань,

Загадані

Міліонними поколіннями…

Коли червонокрилі натовпи

Захльобують виямки вулиць, –

Плачуть розколисані, наелектрені струни,

Кудляться розбуджені омайданені звірі.

Рвуться заклялкі болі.

З аговним посвистом

Змітаються віки космічною мітлою, –

Висмикнутий з нетрів минулого,

Я – засліплено голий.

Не чіпайте мене,

Оголеного.


 

Mykhailo Yalovy - Михайло Яловий

« Ne touchez pas… »

« « Не чіпайте… »

Traduction Marc Georges

 

Mykhailo Yalovy — Михайло Яловий (1895-1937) : Poète, romancier ukrainien, une des premières victimes du génocide « La Renaissance fusillée ». Arrêté en 1933, condamné à 10 ans de camp, rejugé en 1937, il est fusillé le 3 novembre 1937. Ses archives sont détruites avec un tel zèle, que seuls de rares écrits et une photographie nous sont parvenus.

 

∞∞∞∞∞∞∞

 

Quel ennui d’entrelacer les lignes…

La chaleur des pensées s’y répandant en vain ! …

Le don des poètes (comme tous les dons, amer) —

Comprendre toute la misère des vers.

 

Prendre feu — et soudain refroidir,

L’encre séchant sur quelques poèmes…

Quel étrange feu ! —

Pour ne pas dire pire…

 

---


Яка нудьга мережити рядки…

Дарма що жар думок у них розлитий!..

Поетів дар (як всі дари, гіркий) –

Всю недоцільність віршів розуміти.

 

Візьмись вогнем – і раптом прохолонь,

Засхни чорнилом на якомусь вірші…

Чудний вогонь! –

Щоб не сказати гірше…


 

Yevhen Ploujnyk – Євген Плужник

« Quel ennui d’entrelacer les lignes ... »

« Яка нудьга мережити рядки… »

Traduction Marc Georges

 

Yevhen Ploujnyk — Євген Плужник (1898-1936)

Poète ukrainien, victime du génocide « La Renaissance fusillée », tué dans le sinistre camp de Solovki.


 

Suivi par Leonid Brejnev, avec l’opération Block. Cette fois-ci, question de « discrétion », les écrivains et les poètes ne sont plus envoyés en camp, mais empoisonnés par substance radioactive ou internés en hôpital psychiatrique avec traitements obligatoires pour les transformer en légume.


Arrêtez de vous battre,

les querelleurs !

Assouvissez votre faim,

les affamés !

Tomber amoureux,

les amants !

Soyez trois fois plus jaloux,

les jaloux !

Ainsi, les poètes du monde entier

pourront écrire des élégies

et des sérénades ! …

---

Перестаньте  сваритися,

сварливі!

Втамуйте  голод,

голодні!

Кохайтеся  до  нестями,

закохані!

Втричі  більше  ревнуйте,

ревниві!

Щоб  поети  усього  світу

писали  елегії

і  серенади!...

 

Volodymyr Podpalyi - Підпалий Володимир

« Appel » - « Заклик » - 1967

Traduction Marc Georges

 

Volodymyr Podpalyi — Підпалий Володимир (1936 - 1973) : Poète ukrainien. Né dans la région de Poltava (Centre de l’Ukraine). Victime de l’opération Block, il meurt empoisonné en 1973.

 

Pour arriver à Poutine, qui, dans les oblats ukrainiens occupés, russifie de force les enfants, interdit l’enseignement de l’ukrainien, détruit les livres ukrainiens. Histoire d’effacer les traces de la culture ukrainienne, il fait volontairement bombarder le musée d’Hryhoriy Skovoroda — Григорій Сковорода  (1722-1794), Poète et philosophe ukrainien ; et fait volontairement détruire l’imprimerie de Vivat, l’un des premiers éditeurs d’Ukraine, par un tir de missile, tuant sept employés. 


Bonheur ! Où habites-tu ?

Hommes sages — dites-moi !

N’es-tu pas assis au paradis ?

Amateurs de livres, faites-le-nous savoir !

Ah le bonheur…

 ---

Щастя! Де ти живеш?

Мудрі — скажіть!

Чи не в небі ти сидиш?

Книжники — дайте знати!

О щастя… і т. д.


Dites à la mère reine que je ne quitterai pas ma patrie.

Une pipe et un mouton me sont plus chers qu’une couronne royale.

(Réponse de Hryhoriy Skovoroda à Catherine II, lorsqu’elle lui offre le prestigieux poste de philosophe de la Cour Impériale de russie.)

 ---

Перекажіть матінці цариці, що я не покину вітчизни:

мені сопілка і вівця дорожчі царського вінця.

« Відповідь філософа Імператриці Катерині II, коли вона запропонувала йому почесну посаду філософа Імператорського двору Росії »

 


Le monde a essayé de me capturer,

Mais il n’y est pas parvenu.

(Épitaphe inscrite à la demande de l’auteur sur sa tombe)

 ---

Світ мене ловив,

але не впіймав

(епітафія, викарбувана на могилі Григорія Сковороди)

 

Divers écrits de Hryhoriy Skovoroda

різноманітні твори Григорія Сковороди

 


-   Pour que l’Ukraine puisse pardonner l’Occident silencieux.


 Quand l’Ukraine défendant son droit de vivre

Luttait, combattait s’épuisait contre les bourreaux,

Attendant, espérant de la compassion,

L’Europe était silencieuse.


Quand l’Ukraine dans une lutte inégale

Saignait, pleurait,

Attendant une aide amicale,

L’Europe était silencieuse.


Quand l’Ukraine sous un joug de fer

Travaillait esclave d’un maître et criait ses blessures,

Quand même les muettes montagnes semblaient bouger,

L’Europe était silencieuse.


Quand l’Ukraine après les récoltes sanglantes

Confisquées par le bourreau, est morte

Perdant même ses mots par la faim,

L’Europe était silencieuse.


Quand l’Ukraine maudissant la vie

Devenait qu’une tombe,

Les larmes coulant contre le démon du mal,

L’Europe était silencieuse.


---


Коли Україна за право життя

З катами боролась, жила і вмирала,

І ждала, хотіла лише співчуття,

Європа мовчала.

 

Коли Україна в нерівній борьбі

Вся сходила кров'ю і слізьми стікала

І дружної помочі ждала собі,

Європа мовчала.

 

Коли Україна в залізнім ярмі

Робила на пана і в ранах орала,

Коли ворушились і скелі німі,

Європа мовчала.

 

Коли Україна криваві жнива

Зібравши для ката, сама умирала

І з голоду навіть згубила слова,

Європа мовчала.

 

Коли Україна життя прокляла

І ціла могилою стала,

Як сльози котились і в демона зла,

Європа мовчала. 


Alexandre Oles — Олександр Олесь

« Rappelez-vous… » — 1931

« Пам'ятай » — 1931 рік

Traduction Marc Georges

 

Alexandre Oles — Олександр Олесь, de son vrai nom Alexandre Kandiba (1878-1944) : Poète, journaliste, dramaturge ukrainien.

 

Ce Poème écrit en 1931, l’Ukraine étant en conflit avec la russie bolchevique, il est toujours doublement d’actualité : depuis 2014, la russie poutinienne agressant l’Ukraine, et l’Europe restant dans un nouveau silence …

 


-   En respect pour la résilience du peuple d’Ukraine.

 

Ils ont marché depuis seize heures,

Sur des chemins inconnus menant nulle part,

Maman, fils et chien — une famille,

Emportant avec eux deux litres d’eau.

 

Passant sur les corps, sous les obus,

Quittant leur maison pour toujours,

Réduite en poussière de brique,

Et la vie ordinaire qui allait avec.

 

Parmi les débris de la voiture,

Il trouve un parapluie abimé,

Qu’il l’ouvre, comme il peut, à moitié,

Avec amour, il dit à sa mère :

N’aie plus peur, maman, ne pleure pas,

Maintenant, il n’y aura plus de terrifiants malheurs,

Pour toi et moi, je vais fermer le ciel,

Nous pouvons aller où tu veux.

 

Le garçon s’arrête un court instant,

Il prend leur chien dans ses bras,

Il se relève avec lui, et le parapluie,

Maintenant allons-y, j’ai pris tout le monde.


---

 

Вони ішли шістнадцяту годину,

Незнаними шляхами в нікуди,

Матуся, син і пес - родина,

З собою взявши літри два води.

 

Повз мертвії тіла й снаряди,

Назавжди залишаючи свій дім,

Який розбили на цеглини гради,

І звичнеє життя із ним.

 

Малий серед уламків від машини,

Зім'яту парасольку відшукав,

Відкрив, як зміг, наполовину,

І матері з любов'ю промовляв:

Не бійся, мамо, плакати не треба,

Тепер не буде страшної біди,

Для нас з тобою я закрию небо,

Куди захочеш зможемо дійти.

 

Та на хвилину хлопець зупинився,

Рукою песика з землі підняв,

Із ним і парасолькою підвівся,

Тепер ходімо, я усіх забрав.


 

Tamila Hryshko — Таміла Гришко (1953-)

Poète ukrainienne, auteur de livre jeunesse ; originaire de Berezivka, petite ville près d’Odessa

« Fugitifs » 07mai 2022

« Втікачі » 07.05.2022

Traduction Marc Georges



Ce périple, étalé sur près de 1000 jours, a nécessité plus de 5 000 heures de travail. À ce jour, 912 poèmes ukrainiens de 576 Poètes ukrainiens ont été traduits en français, accompagnés de 80 poèmes de plumes étrangères - Afghans, Chilien, Français, Iraniens, Ouïghours, Palestiniens, Polonais, Russes - et de quelques tentatives personnelles de poésie. La Poésie est une arme qui ne tue pas, mais qu’il est impossible d’effacer. C’est un instrument féroce contre les oppresseurs. La Poésie est politique, en sens noble du mot, au sens d’Aristote. La Poésie, c’est la voix de l’agora. Depuis des siècles, la Poésie ukrainienne est la voix de l’agora de ce peuple d’Ukraine.


Poètes.

 

La créativité de chacun est tel un iceberg profond,

Mais il n’est pas mort ni un morceau de glace froid

C’est un corps vivant et mobile,

Où chaque Poème, nouveau Poème, —

Cette pointe de l’iceberg poétique,

Ne fond pas, mais grandit, augmente sa masse,

Flotte dans l’Océan de Poésie.

 

Si, comme un albatros, vous arpentez cet Océan,

Vous pourrez voir

Ces nombreux d’icebergs qui flottent dessus —

Grands et petits, majestueux et ordinaires,

Instantanés et ramifiés par le temps,

Dans les langues des vivants et même celles des oubliés,

Ils flottent dans l’océan en tant que

Noosphère

Et proclament la grandeur de l’Homme.

 

---


Поети.

 

Творчість кожного – це айсбергу глиба,

Але він не мертвий/холодний шмат льоду,

А тіло живе і рухливе,

Де кожний вірш, новий вірш, -

Вершина поетична айсбергу цього,

Що не тане, а росте, збільшує масу свою,

Що пливе в Океані Поезії.

 

Якщо, немов буревісник, оглядати цей Океан,

То можна побачити,

Що по ньому пливе безліч таких айсбергів –

Великі і маленькі, величні і буденні,

Миттєві і розгалуженні в часі,

На мовах живих і навіть забутих,

Вони пливуть в Океані як частина

Ноосфери

І проголошують велич Людини.


Viktor Levchyshyn – Левчишин Віктор (1936- )

Poète ukrainien, né à Kyiv. Architecte de formation

« Poésie » — 22 septembre 2016

« Поезія » — 22.09.2016

Traduction Marc Georges


 

Par ce travail, en privilégiant un large choix de Poètes ukrainiens (576) à une sélection limitée, en usant d’un spectre temporel étalé à travers les siècles, je souhaite démontrer que la Poésie ukrainienne n’est pas un mince filet ou une anecdote dans l’histoire des Lettres du Monde, mais un trésor inconnu aux portes du pays de Molière. Et point important, elle n’est pas limitée, contrairement aux Lettres russes, à un siècle d’or.

 

Puis comme l’a dit, dans un appel à Poèmes, le Ministère ukrainien de la Culture, en mars 2022, alors que Moscou était aux portes de Kyiv, et le futur de l’Ukraine chancelant :


« Car nous savons avec certitude

que les guerres prennent fin, mais la Poésie — jamais. »

---

« дже ми точно знаємо,

що війни закінчуються, a поезія – ні. »


En l’espace de quelques jours, plus de 38,000 0 Ukrainiens ont répondu à cet appel à poèmes. Malgré les bombardements, les massacres commis par les troupes russes, le risque de chute du pays, plus de 38 000 Ukrainiens ont pris leur plume et ont envoyé un poème.

 

Que celui qui s’est dissous dans la foi,

Le dise fort, je n’entends pas ?!

Que celui qui s’est querellé avec le destin,

Le désespoir n’est plus de mise aujourd’hui !

Qui a finalement perdu la foi,

Qui est devenu sceptique, mes frères ?

Saisissez une bouffée de vent,

Vivifiant et léger !

Dans vos paumes, un rayon de soleil —

Que disparaissent ténèbres et angoisses !

La foi est avec nous ! Elle ne périra pas !

Tout sera UKRAINE !

--- 

Хто у вірі розчинився,

Голосно кажіть, не чую?!

Хто із долею сварився,

Розпач нині не банкує!

Хто нарешті втратив віру,

Хто зневірився, братове?

Ухопіть в легені вітру,

Животворного, легкого!

У долоні промінь сонця –

Зникне хай похмуре й сіре!

Віра з нами! Не загине!

Усе буде УКРАЇНА!


 

Oleksi Kononenko - Олексій Кононенко

« Carnet de guerre », 28 mars 2022

« До зошитка війни », 28 березня 2022 р

 

Un des 38 000 Ukrainiens qui a répondu à l’appel à Poésie

один із 38 000 українських громадян, які відгукнулися на заклик до поезії

Traduction Marc Georges



Ce périple, je le fais en modeste geste de réconfort pour Arthur Dron — Артур Дронь (2000— ), jeune poète ukrainien, engagé volontaire sur le front en 2022, et qui continue à écrire des poèmes.

 

En mars 2024, sur Tvoemisto.tv, média de Lviv (ville de l’ouest de l’Ukraine), il a cette phrase : « Le plus difficile, c’est l’indifférence à la guerre » « Найбільше дратує байдужість до війни ».

 

La littérature ne tue personne,

Un poème ne te protège pas d’une balle,

Les livres ne te sauvent pas des obus,

L’écriture ne retrouve pas les disparus,

Alors, dans cet actuel ont-ils un sens ?

Mais le vent et la chaleur sont notre quotidien.

Jusqu’au bunker, du ravin

S’élève la puanteur des cadavres.

Un désodorisant est utilisé,

Mais au troisième jour, il n’en reste plus.

Alors, je lis les œuvres choisies de Stus*

Et après chaque poème,

J’inhale le livre.

 ---

Література нікого не вб’є,

віршем не захистишся від кулі,

книжки не врятують від мінометів,

письмо не знайде зниклих безвісти,

тож сенсу в цьому зараз небагато.

Але в нас тепер вітри і спека.

До бліндажа долітає

трупний сморід із яру.

Ми користувались освіжувачем повітря,

але третього дня він скінчився.

Я читав тоді вибране Стуса

і після кожного вірша

нюхав книжку.

 

Arthur Dron — Артур Дронь

« La littérature ne tue personne »,

Recueil « Nous étions ici », Éditions Vieux Lion — Lviv, 2023

« Віддам Література нікого не вб’є … »

Збірки « Тут були ми », Видавництво Старого Лева – Львів, 2023

Traduction Marc Georges 

 

*Stus : Vassyl Stus — Василь Сtyc (1938 - 1985), Poète journaliste ukrainien, dissident ukrainien, décédé en camp de concentration.



En 1968, Leonid Kisselov, poète ukrainien russophone, surnommé le Rimbaud de l’Ukraine, — qui m’a imposé un casse-tête : devais-je utiliser la version russe ou la version ukrainienne de son patronyme ? Леонид Киселёв ou Леонід  Кисельов ? Leonid Kisselev ou Leonid Kisselov ? Après une enquête de près de 2 ans, des discussions avec des Lettrés ukrainiens, des lectures d’archives de la Bibliothèque nationale ukrainienne, j’ai opté pour la version ukrainienne — a brutalement et irrévocablement banni la langue russe au profit de l’ukrainien. Justifiant ainsi sa décision auprès de son père incrédule :

 

Le père de Leonid, Vladimir Kesselev, lui demande : « Pourquoi en ukrainien ? » Leonid répond : « Mais je ne peux pas l’expliquer. C’est ce que je ressens. Mais si nous considérons la poésie [en langue ukrainienne] comme l’un des moyens d’autodétermination, nous devrons accepter le fait que c’est ainsi que je m’autodétermine. »

Extrait du livre Веселий роман (Roman joyeux), Vladimir Kesselev, Edition Jeune Garde — Moscou, 1972

 

En 1963, quelques années avant sa « rédemption linguistique », Leonid Kisselov avait écrit, en russe, ce poème prémonitoire :

 

Debout au bord d’un précipice,

Courbé par la tristesse,

Soudain, je réalise :

Le monde entier n’est qu’un poème

En langue ukrainienne.

 ---

Я постою у края бездны

И вдруг пойму сломясь в тоске,

Что все на свете - только песня

На украинском языке.

 

 


 ∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞



 

NB :

Je pourrais écrire et réécrire l’entièreté de ce billet en citant d’autres poètes ukrainiens, d’autres anecdotes, et en usant d’autres angles de pensée ; telle est la richesse de ce périple en Poésie ukrainienne.

 


Lien :

Lien vers un interview réalisé et publié par un des sites de la diaspora ukrainienne, où j’explique ma démarche, sa genèse et son motus-vivendi.

https://lescosaquesdesfrontieres.com/2024/09/24/eric-tessier-entretien-avec-marc-georges-traducteur-traduire-la-poesie-ukrainienne-le-cri-dune-nation/


La liste des Poètes ukrainiens traduits 

https://docs.google.com/spreadsheets/d/1dEfZNqx4oC79P9YPCeIRC4wcKc7gjYPzrjyGjit1840/edit?usp=sharing



En copiant leur nom, sur « rechercher » sur une de mes 2 pages Facebook, vous serez renvoyés vers leurs poèmes. 

https://www.facebook.com/facteurdespoetes/?locale=fr_FR

ou

https://www.facebook.com/lademeuredulivre/

 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La Poésie de l'Ukraine est

  1100ème jour, 4ème jour de l’an IV, 27 février 2025, «   Tant qu’il y a de la Poésie, il y a de l’espoir   » Chaque jour, jusqu’à ...